Dr Baba Fané s’exprime sur la drépanocytose : « Tant qu’il n’y aura pas un système de prise en charge coordonnée, la mortalité restera préoccupante »

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La drépanocytose, malgré tous les efforts, continue à sévir dans le silence. Pour comprendre les raisons, nous nous sommes entretenus avec le docteur Baba Fané, médecin hématologiste-transfusionniste à l’hôpital du Mali, également auteur d’un ouvrage sur la drépanocytose. Il reste convaincu que s’il existait un programme national de lutte contre cette maladie, les lignes pouvaient rapidement bouger.

Le Pays : vous êtes spécialiste de la drépanocytose. Expliquez-nous cette maladie.

Dr Fané : la drépanocytose est une maladie du sang, une maladie héréditaire. Elle touche un élément du sang qu’on appelle les globules rouges notamment l’hémoglobine. L’hémoglobine normale est A et l’anormal est S. C’est pourquoi en Anglais, on appelle cette maladie Seagull Deases.

La fonction essentielle des globules, c’est de ravitailler tout le corps en oxygène. Avec cette maladie, les globules rouges perdent leur forme arrondie en se transformant en fossile. D’où le nom de la maladie. En effet, la drépanocytose vient de deux mots grecs : drepanon (faucille) et cytose (cellule).

La drépanocytose est alors la transformation des cellules en faucille. Ce sont des phénomènes qui entraînent cette déformation. Des circonstances feront que les globules rouges se transforment, par moment, au cours de leur vie.

Quelle est l’origine de cette maladie ?

C’est le fruit d’une adaptation. Il y avait une sélection. Les gens qui n’étaient pas drépanocytaires (AA) mourraient du paludisme. Il y a donc eu une adaptation qui a amené une modification sur le point de vue génétique. Ce qui a fait que les gens qui n’étaient pas drépanocytaires ont pu avoir une modification qui les protégeait contre le paludisme. Ces gens sont devenus des AS (asymptomatiques). Ceux-ci survivaient, arrivaient à l’âge adulte, se mariaient entre eux et faisaient des enfants drépanocytaires. Nous pensons que c’est cette adaptation, cette modification génétique qui est à la base de la drépanocytose.

Quelles sont les manifestations de la drépanocytose ?

L’anormalité de l’hémoglobine dont j’ai évoqué tantôt fera que la maladie se caractérisera par trois choses : maladie de la douleur, l’anémie et la susceptibilité aux infections.

Je viens de dire que cette maladie se caractérise par l’anémie. Ce qui peut entraîner une coloration jaune des yeux qu’on appelle en terme plus vague jaunisse. C’est un signe que nous retrouvons dans d’autres maladies. Avec la drépanocytose, cette coloration jaune des yeux s’explique par l’éclatement des globules rouges. Ce qui entraîne le jaunissement des yeux et également rend les urines foncées. Cette maladie entraine également la fatigue.

Chez les enfants, à partir de six mois, cette maladie se caractérise par le syndrome pied-main, c’est-à-dire le gonflement du dos des mains et des pieds. Des gonflements qui sont douloureux. Les enfants peuvent également avoir des douleurs abdominales. Chez les adultes, la drépanocytose donne des manifestations osseuses.

Voici des signes qui peuvent alerter par rapport à cette maladie. Toutefois, dans l’évolution de cette maladie, nous avons des complications aigües et des complications chroniques. La drépanocytose est une maladie chronique : on nait avec, on fait sa vie avec. Comme complications aigües, nous avons des douleurs thoraciques, l’accident vasculaire cérébral (AVC), l’érection douloureuse, de la fièvre, des douleurs osseuses. En termes de complications chroniques, nous avons l’ulcère des jambes (des plaies sur les pieds à longueur des années), etc. C’est une maladie qui n’épargne aucune partie du corps.

À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre la drépanocytose (vendredi 19 juin 2020), vous avez tenté de faire une comparaison entre la covid-19 et cette maladie. Pourquoi cette comparaison ?

Comme chaque année, à l’occasion de cette Journée, des thèmes sont retenus. Cette année, le Mali retenu est celui de « drépanocytose et covid-19 » parce que le coronavirus est une pandémie qui n’a laissé personne indifférent. Avec cette maladie, toujours mal connue, on a parlé de comorbidité, c’est-à-dire que ce sont les patients qui ont d’autres problèmes de santé qui sont les plus exposés. Alors, quelle est la particularité du drépanocytaire d’avoir cette maladie ? Ce qu’il faut savoir, c’est que le drépanocytaire ne court pas plus de risques de tomber malade que la population générale. Mais puisqu’il est malade, il est susceptible de faire des complications. Le manque d’oxygène dû à des circonstances de la vie, le manque d’eau, l’exposition à des efforts physiques prolongés, des stress, etc., peuvent entrainer des complications.

L’un des signes avec le coronavirus, c’est la fièvre, qui peut d’ailleurs entraîner aussi une transformation des globules rouges. Ce qui pourrait entrainer une complication chez le drépanocytaire. La Covid-19 peut être également source de déshydratation chez le drépanocytaire.

Il convient de noter que dans la drépanocytose, nous avons quatre grandes formes au Mali. Un enfant est toujours conçu de telle sorte que la moitié est du père et la moitié de la mère. L’hémoglobine S qui est l’anomalie qui caractérise la drépanocytose. Dans cette maladie quand l’enfant hérite de deux anomalies des deux parents, soit l’anomalie S est présente chez les deux parents (SS), soit elle est présente chez l’un des parents et l’hémoglobine C chez l’autre parent (SC). Les quatre grandes formes sont : SS, SC, SBêta0 Thalassémie ou SBêta plus thalassémie. SS et SBêta0 thalassémie sont les deux formes pourvoyeuses d’anémie. Les formes qui sont moins pourvoyeuses d’anémie sont SC et SBêta plus Thalassémie. Ces formes, notamment SC, sont caractérisées souvent par un taux d’hémoglobines qui sera normal chez le patient non drépanocytaire.

Le Mali enregistre combien de cas de drépanocytose de nos jours ?

Malgré les recommandations de l’OMS, depuis des années, de reconnaitre la drépanocytose comme problème de santé publique, les gens ne se sentent pas trop concernés par cette maladie. Même lorsqu’ils se sentent concernés, cela trouve qu’il est déjà trop tard. Tout simplement parce qu’ils ne se demandent pas ce qu’ils peuvent faire pour que cette maladie ne s’accroisse pas. Pourtant les chiffres sont assez parlant. Nous sommes à 300 000 nouveaux cas dans le monde. En ce qui concerne le Mali, il y a des estimations qui ont été faites. Mais ce sont des données à revoir. Les études épidémiologiques qui ont été faites dans les années 90 par rapport aux traits drépanocytaires situaient la prévalence à 12 %. Dans les années 2000, il y a eu une étude qui avait été faite, qui estimait la naissance de 5000 à 6000 enfants drépanocytaires par an au Mali.

Ces études doivent être actualisées parce qu’il y a un Centre de recherche et de lutte contre la drépanocytose (CRLD), qui a été ouvert depuis 2010 au Mali. De l’ouverture de ce Centre à aujourd’hui, il accueille plus de 1000 nouveaux patients par an. Si on fait le décompte, ça fait aujourd’hui plus de 10 000 nouveaux patients. Ces patients viennent essentiellement de Bamako. Pourtant cette maladie continue toujours d’être ignorée au Mali.

Quelle explication donnée à cette ignorance ?

Parce qu’elle est prise souvent pour d’autres maladies. Cette méconnaissance pourrait être attribuée au fait que cette maladie n’est détectée qu’à travers une analyse du sang. Les traitants peuvent également penser à la maladie et faire un traitement symptomatique sans que cette maladie soit prise en charge de façon efficiente. En plus de tous ces aspects, il faut souligner que cette maladie a été vue comme fatale.

Existe-t-il aujourd’hui des mesures préventives contre la drépanocytose ?

La mesure primaire de prévention est de savoir comment on devient drépanocytaire : on naît drépanocytaire des deux parents. C’est pourquoi chacun doit connaitre son profil hémoglobine à travers un dépistage. L’idéal est de dépister cette maladie depuis le bas-âge. À l’âge adulte, il faut informer ces enfants de leur statut afin de les mettre en garde contre les risques d’avoir des enfants drépanocytaires lorsqu’ils devront se mettre en couple. Ce qui donne des chances de vivre avec la drépanocytose.

Pour éviter des risques de complications, les drépanocytaires doivent éviter de porter des habits serrés, de s’asseoir et croiser les jambes pendant de longue durée, le stress, éviter de jeûner, etc. Il faut noter que les drépanocytaires sont tenus de prendre certains médicaments durant toute leur vie.

Quel est le taux de mortalité de cette maladie au Mali ?

Nous n’avons pas une idée sur la prévalence exacte de la maladie. Mais le décès est estimé à 50 % des enfants avant l’âge de cinq (5) ans. À ses débuts, le CRLD estimait un taux de prévalence qui n’atteignait même pas 2 %. Mais au fil du temps, ce Centre est débordé par le nombre de patients allant toujours grandissant. Tant que la prise en charge ne sera pas décentralisée, il serait difficile de donner un chiffre exact. Aujourd’hui le taux de mortalité s’accroit. Mais cela ne veut pas dire que la maladie devient de plus en plus sévère. C’est plutôt lié au fait que les patients ne respectent plus les rendez-vous qui leur sont donnés pour se rendre au CRLD. Aussi faut-il signaler que tant qu’il n’y aura pas un système de prise en charge coordonnée, la mortalité restera préoccupante.

Existe-t-il un programme de lutte contre la drépanocytose au Mali ?

Non. Toujours pas. Cela fait partie des grands objectifs de l’Association malienne de lutte contre la drépanocytose. Une association qui existe depuis les années 1990. Bien vrai que la maladie soit reconnue comme problème de santé publique, il n’y a toujours pas de programme national de lutte contre la drépanocytose au Mali. S’il existait ce programme, ça allait permettre de prendre en charge plusieurs choses à la fois, notamment en termes de prise en charge des drépanocytaires. Ainsi il allait conjuguer avec plusieurs programmes.

Réalisé par Fousseni Togola

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